Tout soulèvement armé implique la présence d'un matériel de guerre d'une certaine importance. Quel serait celui des forces patriotes en 1837 et 1838? Il est difficile de répondre à pareille question car les milices populaires n'ont point d'archives. On peut cependant en faire un estimé approximatif, grâce aux renseignements glanés dans les dépositions et les narrations contemporaines. Chose certaine, les troupes régulières disposent d'un armement qualitativement et quantitativement supérieur.
D'octobre 1837 à novembre 1838, nombre de patrouilles patriotes circulent régulièrement à travers la campagne. La plupart de ces hommes sont armés. Ces déplacements sont maintes fois signalés dans les documents du temps, mais la présente étude ne permet pas de s'attarder à ces détails. Mieux vaut s'en tenir aux engagements majeurs.
Au cours de ces rencontres, les insurgés portent occasionnellement des armes blanches (épées et sabres) et ordinairement des armes à feu (pistolets et fusils). Rappelons que tous les fusils ne sont pas aussi anciens qu'on le pense généralement. Certains viennent d'être achetés au magasin du village. D'autres ont été raflés chez des loyalistes et des chouayens (1). Enfin, on ira en chercher plusieurs aux États-Unis, notamment à l'automne de 1838. Mais plus de la moitié du matériel patriote est démodé. Il s'agit de fusils "à pierre", la plupart fabriqués au XVIIIe siècle. Les Patriotes ont encore quelques pièces d'artillerie, mais ces armes sont de facture domestique, à l'exception d'une ou deux qui ne rendent leur charge qu'un e seule fois.
Les insurgés ne sont guère mieux favorisés sur le plan quantitatif. Rarement plus de la moitié des combattants a des armes. Le reste attend le moment de charger les Habits-Rouges avec des fourches, des faux et des bâtons.
Les munitions sont pareillement rares, même si on fond des balles en différents endroits. Veut-on quelques précisions à ce sujet?
En novembre 1837, il se fabrique des balles chez François- Xavier Desjardins et Joseph Rassette, de Vaudreuil (2). Même activité chez l'aubergiste François Macé, de Saint-Athanase (3). On fait également des cartouches chez Girouard et Dumouchel, à Saint-Benoit. Selon Paul Brazeau, "Messieur Pelletier & les Messieurs de Lorimier étaient du nombre des fabricateurs..." (4) Deux jours avant le feu de Saint-Eustache, Girouard remet un moule à balle (5) à Joseph Constantineau (6).
On est aussi actif dans le Sud. A Saint-Denis, les forgerons Jean-Baptiste Mignault et Julien Caouette réparent des fusils jour et nuit. D'autres coulent des balles, nommément Georges Saint-Germain et Lévi Larue. Ce dernier utilise un moule taillé à même une patate. La veille du combat de Saint-Charles, le forgeron Foisy installe un soufflet et une enclume sous le hangar du marchand Eusèbe Durocher. C'est là que l'artisan s'affaire "à mettre en ordre les fusils qu'apportaient les différents habitants".
(7)- Une citation prête souvent à équivoque hors de son contexte. Telles ces paroles lapidaires prononcées à l'historique assemblée de Saint-Charles: "le temps est venu de fondre les cuillères pour en faire des balles". A l'époque, cuillères, écuelles et autres us• tensiles sont d'étain. Les cuillères sont particulièrement fragiles. Quand elles se brisent, la ménagère recueille tous les morceaux pour les remettre à l'étainier ambulant. Même que des habitants ont leur propre moule à cuillère. Il arrive alors couramment que ces vieux ustensiles soient transformés en munitions de chasse.
(1) Par dérision pour désigner un lâcheur et un mouchard. L'appellation fut employée, une première fois, pour nommer les soldats français qui ont abandonné le combat au fort du même nom.
(2) Déposition d'Ann Woods, de Vaudreuil, contre Augustus Mathe - son. 9 janvier 1838. Documents de 1837-1838, pièce no 3894. Archives du Québec.
(3) Déposition de François Ouimet, de Saint-Athanase. 25 janvier 1838. No 253 . Archives du Québec.
(4) Déposition de Paul Brazeau contre J.J. Girouard, J.Bte Dumouchel le docteur Masson & autres individus de St.Benoit, St,Eustache
& Ste.Scholastique. 8 janvier 1838. No 805. Archives du Québec.
(5) Il y a deux sortes de moules à balle : les plaques et les "tenailles". Ceux de la seconde catégorie sont les plus courants. Nous en connaissons deux variétés. L'un d'elles comporte une espèce de marteau à une extrémité. Ce "marteau " sert à corriger les bavures.
(6) Déposition de Joseph Constantineau contre J.J. Girouard et de Lorimier. 8 janvier 1838. No 809. Archives du Québec.
(7) Déposition de Luc Ethier, de Saint-Charles. 6 décembre 1837. No 346a. Archives du Québec.
Article
« Les patriotes étaient-ils bien armés? »
Robert-Lionel Séguin
Liberté, vol. 7, n° 1-2, (37-38) 1965, p. 18-32.
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