RODOLPHE DES RIVIÈRES, (baptisé Michel-Rodolphe Trottier Des Rivières Beaubien ; il se fit appeler Rodolphe Des Rivières Beaubien ou Rodolphe Des Rivières et il signait R. Des Rivières ou R. DesRivières),
patriote et marchand, né le 5 mai 1812 et baptisé quatre jours plus
tard à Lac-des-Deux-Montagnes (Oka, Québec), fils de
Pierre-Charles-Robert Trottier Des Rivières Beaubien et d’Henriette
Pillet ; décédé vraisemblablement célibataire le 17 mars 1847 et inhumé
trois jours plus tard à Montréal.
Depuis la fin des années 1780 environ,
du fait que la forte concurrence des marchands britanniques l’avait
alors forcée d’abandonner la traite des fourrures, la famille Trottier
Des Rivières Beaubien connaissait un net déclin. Au moment où Rodolphe
Des Rivières vit le jour, en 1812, Pierre-Charles-Robert Trottier Des
Rivières Beaubien exploitait à Lac-des-Deux-Montagnes un commerce de
détail, probablement hérité de son père, Eustache-Ignace.
On ignore si Rodolphe fit des études classiques ou si son père le prit
dans son établissement pour l’initier aux affaires. Chose certaine, il
acquit quelque formation, car il travaillait en 1837 à titre de teneur
de livres à la Banque du peuple [V. Louis-Michel Viger], à Montréal.
Énergique et combatif de nature, Des
Rivières s’intéressa tôt à la politique. En 1837, il s’était joint au
groupe des jeunes patriotes montréalais qui militaient dans le parti de
Louis-Joseph Papineau et qui fréquentaient la librairie d’Édouard-Raymond Fabre.
À l’été de cette année-là, il se signala par un exploit que raconte son
frère, Adélard-Isidore, dans ses mémoires. Un soir, Rodolphe et
quelques amis assistaient à une représentation donnée à Montréal devant
un public composé en majorité de Britanniques. Lorsque l’orchestre joua
le God save the Queen, les jeunes gens
restèrent assis et gardèrent leur chapeau sur la tête. « Hats off ! Hats
off ! » leur cria-t-on de toutes parts, mais les patriotes faisaient la
sourde oreille. Plusieurs officiers et bureaucrates offusqués voulurent
les expulser du théâtre. Peu nombreux, les Canadiens n’eurent pas le
choix. L’un des derniers à sortir, Des Rivières reçut un coup de poing
sur la nuque. Il se retourna et reconnut le docteur Jones, chirurgien de
l’armée britannique. Deux ou trois jours plus tard, il alla trouver son
agresseur, rue Notre-Dame, et lui demanda des excuses, que ce dernier
refusa de faire. Sur ces entrefaites, Des Rivières ne craignit pas
d’affronter ce colosse de 6 pieds 3 pouces et de 230 livres, et il lui
administra une véritable correction.
Le 5 septembre 1837, Des Rivières
participa à l’hôtel Nelson à l’assemblée de fondation de l’association
dite des Fils de la liberté [V. André Ouimet].
Sa grande popularité et sa réputation de courage contribuèrent à le
faire nommer deux semaines plus tard chef de la section n° 6 de l’aile
militaire de l’association, sous le commandement du général Thomas
Storrow Brown.
Le 4 octobre, il figura parmi les 44 signataires de l’« Adresse des
Fils de la liberté de Montréal, aux jeunes gens des colonies de
l’Amérique du Nord ». Il avait toute la confiance de Brown, qui lui
proposa de venir l’aider à diriger les manœuvres de 600 à 1 200 Fils de
la liberté le 22 octobre à la côte à Baron. Le lendemain, Des Rivières
assista, selon l’historien Gérard Filteau, à l’assemblée des six comtés à
Saint-Charles-sur-Richelieu. Puis, le 6 novembre, il prit part à la
tumultueuse assemblée des Fils de la liberté, tenue à Montréal, et dans
les batailles de rue qui s’ensuivirent le même jour il tomba à bras
raccourcis sur quelques membres du Doric Club.
Pour échapper au mandat d’arrestation
que le gouverneur, lord Gosford [Acheson], était sur le point de lancer
contre lui, Des Rivières quitta Montréal dans la nuit du 15 au 16
novembre 1837 et gagna Varennes. Là, il rencontra Brown qu’il accompagna
ensuite à Saint-Charles-sur-Richelieu. Arrivé dans ce village le 18
novembre, Des Rivières fit partie du groupe de patriotes qui
s’emparèrent du manoir du seigneur Pierre-Dominique Debartzch. Après quoi il entreprit avec les chefs patriotes de l’endroit, Siméon Marchesseault et Jean-Philippe Boucher-Belleville,
d’établir un camp retranché. Le lendemain, Brown procéda à la formation
d’une compagnie militaire, et Des Rivières fut fait colonel. D’après la
déposition de John Edward Raymo (Raymond), ébéniste de
Saint-Charles-sur-Richelieu, recueillie le 21 novembre, Des Rivières
faisait office d’agent seigneurial et, en cette qualité, il avait remis
des reçus pour le grain à réquisitionner chez dix habitants des
environs. Simon Talon Lespérance, marchand et juge de paix de
La Présentation, que les patriotes détinrent du 22 au 24 novembre,
déclara qu’« un détachement de Brigands dont Rodolphe Dérivieres chef
des fils de la liberté etoit en tête [...] setoient emparé [...] de cinq
Milles Minots de grain [...] [de] [s]es cheveaux [et de] dix cochon
gras tué et débité et emporté au camp de St charles ».
En compagnie de son frère
Adélard-Isidore, Des Rivières arriva à Saint-Denis, sur le Richelieu, le
23 novembre 1837, au moment où la bataille était engagée. Il aida les
partisans de Wolfred Nelson
à poursuivre les soldats britanniques en fuite. Deux jours plus tard,
de retour à Saint-Charles-sur-Richelieu, et peu avant que la bataille
n’éclate, il se vit confier une brigade de patriotes et reçut l’ordre
d’aller s’embusquer sur une colline boisée située à proximité du camp,
dans le but d’attaquer le flanc de l’ennemi le moment venu. Lorsque le
lieutenant-colonel George Augustus Wetherall
et ses troupes se furent avancés à portée de fusil, Des Rivières et ses
hommes ouvrirent un feu nourri sur l’assaillant. Les patriotes tinrent
leur position jusqu’à ce que Wetherall lance contre eux une compagnie de
grenadiers. Étant donné leur infériorité numérique, ils se dispersèrent
alors et se cachèrent dans les bois pour se dérober aux Britanniques.
Après cette défaite, Des Rivières se
réfugia à Saint-Denis. Le 29 novembre 1837, on mit sa tête à prix : une
récompense de £100 était offerte à quiconque le livrerait à la justice.
Deux jours plus tard, il s’enfuit vers les États-Unis avec Nelson et
quelques autres patriotes. Il fut cependant arrêté à Bedford le 7
décembre en compagnie de Boucher-Belleville, Marchesseault, Timothée Kimber
et un ou deux autres compagnons. D’abord incarcéré au fort Lennox, dans
l’île aux Noix, Des Rivières fut transporté le 12 décembre à la prison
de Montréal avec notamment Marchesseault et Robert-Shore-Milnes Bouchette.
Le 26 juin 1838, en retour d’une promesse d’amnistie à l’ensemble des
prisonniers politiques, il consentit avec sept autres patriotes à signer
un aveu de culpabilité. Ce geste imprudent lui valut d’être condamné
deux jours plus tard, aux termes de la proclamation de lord Durham
[Lambton], à l’exil. Le 4 juillet, il partit de Québec à bord de la
frégate Vestal et il descendit à Hamilton, aux Bermudes, le 28 du même mois.
Relâché le 26 octobre 1838 à cause du
désaveu de l’ordonnance de lord Durham, Des Rivières s’embarqua pour les
États-Unis. À son arrivée sur le sol américain le 9 novembre, il ne
chercha pas, contrairement à la plupart des autres exilés, à rentrer
immédiatement au Bas-Canada. Après l’échec de la seconde insurrection,
il choisit de s’établir à New York où il s’orienta vers les affaires. Il
se mit en contact avec un riche marchand new-yorkais nommé Dempsey, qui
le prit comme associé dans sa maison de commerce, sans doute incité par
son sens du négoce et son intégrité. Peut-être est-ce à titre d’agent
de cet établissement que Des Rivières fit en 1842 un voyage de plus de
huit mois qui, d’après Ægidius Fauteux, le conduisit en Angleterre, en
Italie et en France. De retour aux États-Unis, il aurait eu l’intention
en 1843 et en 1844, selon Louis-Joseph-Amédée Papineau,
d’épouser la sœur ou la fille de Dempsey ; toutefois, on n’a trouvé
aucune trace d’un mariage. Peu après la création de la Société des amis
[V. Guillaume Lévesque], en novembre 1844, Des Rivières adhéra à cette association à titre de membre correspondant à New York.
Rodolphe Des Rivières ne revint au
Bas-Canada qu’après novembre 1844. Il s’établit comme marchand à
Montréal sous la raison sociale de DesRivières et Dempsey. Il mourut le
17 mars 1847 d’une maladie du foie, à l’âge de 34 ans seulement, « au
moment même, selon un chroniqueur de la Minerve
du 22 mars, où il commençait à s’élancer sur une horizon commercial
élevé et prospère ». Le 6 décembre 1848, un grand nombre de ses amis se
réunirent au cimetière catholique de Montréal pour élever sur sa tombe
un magnifique marbre portant, entre autres, les mots : « Exilé politique
aux Bermudes, en juin 1838 ». On venait d’honorer la mémoire d’un
patriote intrépide et généreux.
Un portrait au crayon de Rodolphe Des Rivières, dessiné durant son séjour à la prison de Montréal par Jean-Joseph Girouard en 1837 ou 1838, fait partie de la collection Girouard et est conservé aux APC. ANQ-M, CE1-51, 20 mars 1847 ; CE6-3, 9 mai 1812.— ANQ-Q, E17/6, nos 1–2, 14, 18, 22 ; E17/9, nos 291, 352, 354–355 ; E17/15, nos 857–858a, 869 ; E17/37, nº 3020 ; E17/39, nº 3150 ; E17/51, n° 4145 ; E17/52, nº 6 ; P-409 ; P-417/11, nº 1037; 13, nos
1113, 1141.— APC, MG 24, B2, 17–21.— BVM-G, Fonds Ægidius Fauteux,
notes compilées par Ægidius Fauteux sur les patriotes de 1837–1838 dont
les noms commencent par la lettre D, carton 4.— Univ. of B. C. Library
(Vancouver), Special Coll. Division, lettres de Rodolphe Des Rivières.—
R.-S.-M. Bouchette, Mémoires de Robert-S.-M. Bouchette, 1805–1840 (Montréal, 1903), 56–60, 69–115.— T. S. Brown, 1837 : my connection with it
(Québec, 1898), 16–37.— A.-I. Des Rivières, « Insurection de 1837 :
mémoires inédites laissées par feu le docteur Adélard-Isidore Des
Rivières, l’un des Fils de la liberté », la Patrie, 12 mars 1898 : 8.— « Documents inédits », Yvon Thériault, édit., RHAF, 16 (1962–1963) : 117–126, 436–440.— L.-J.-A. Papineau, Journal d’un Fils de la liberté.— La Minerve, 28 août, 7 sept., 5, 9 oct., 9 nov. 1837, 18, 22 mars 1847, 7 déc. 1848.— Fauteux, Patriotes, 27–28, 38–39, 56–61, 145–146, 210–212.— Tanguay, Dictionnaire, 7 : 353–360.— Anecdotes canadiennes suivies de mœurs, coutumes et industries d’autrefois ; mots historiques, miettes de l’histoire, É.-Z. Massicotte, compil. ([2e éd.], Montréal, 1925), 107–108.— Jean Béraud, 350 ans de théâtre au Canada français (Ottawa, 1958), 34.— Hector Berthelot, Montréal, le bon vieux temps, É.-Z. Massicotte, compil. (2e éd., 2 vol. en 1, Montréal, 1924), 1 : 47–48.— J. D. Borthwick, Jubilé
de diamant ; rébellion de 37–38 ; précis complet de cette période ;
rôle d’honneur ou liste complète des patriotes détenus dans les prisons
de Montréal en 1837–1838–1839 ; date et lieux des arrestations et autres
détails intéressants et inédits sur ce sujet (Montréal, 1898), 36, 89–91.— Chapais, Cours d’hist. du Canada, 4 : 196, 206.— Christie, Hist. of L. C. (1866).— L.-O. David, les Gerbes canadiennes (Montréal, 1921), 163 ; Patriotes, 13–20, 37–42, 65–71, 137–140.— Ægidius Fauteux, le Duel au Canada (Montréal, 1934), 225–231.— Filteau, Hist. des patriotes (1975), 117, 207–208, 244, 271–276, 301–309, 336–341, 348–349, 390–393.— F.-X. Garneau, Histoire du Canada depuis sa découverte jusqu’à nos jours, Hector Garneau, édit. (8e éd., 9 vol., Montréal, 1944–1946), 9 : 97–98.— Laurin, Girouard & les Patriotes, 51.— É.-Z. Massicotte, Faits curieux de l’histoire de Montréal (2e éd., Montréal, 1924), 86–96.— Rumilly, Hist. de Montréal, 2 : 228, 243 ; Papineau et son temps.— Mason Wade, les Canadiens français, de 1760 à nos jours, Adrien Venne et Francis Dufau-Labeyrie, trad. (2e éd., 2 vol., Ottawa, 1966), 1 : 194–195.— Montarville Boucher de La Bruère, « Louis-Joseph Papineau, de Saint-Denis à Paris », Cahiers des Dix, 5 (1940) : 79–106.— Émile Chartier, « Après « l’affaire de Saint-Denis », 1er–12 décembre 1837, d’après un mémoire de Brown », BRH, 56 (1950) : 130–147.— Claude Faribault, « Un atlas de Napoléon 1er, Notre-Dame de Stanbridge et la famille DesRivières », SGCF Mémoires, 33 (1982) : 26–29.— L.-A. Huguet-Latour, « la Société des amis », BRH, 8 (1902) : 121–122.— J.-J. Lefebvre, « la Famille Malhiot, de Montréal et de Verchères », SGCF Mémoires, 12 (1961) : 149–154.— Victor Morin, « Clubs et Sociétés notoires d’autrefois », Cahiers des Dix, 15 (1950) : 185–218.— R.-L. Séguin, « Biographie d’un patriote de ’37, le Dr Luc-Hyacinthe Masson (1811–1880) », RHAF, 3 (1949–1950) : 349–366.— Léon Trépanier, « Figures de maires : Édouard-Raymond Fabre », Cahiers des Dix, 24 (1959) 189–208.
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