Texte: Onil
Perrier
Date: 28 juillet 2014
NATION, PEUPLE,
FÉDÉRALISME
Au milieu du
débat toujours actuel sur l'avenir du Québec, il m'apparaît fort souhaitable
que les Québécois s'entendent sur le sens qu'ils donnent à certains termes tels
que nation, peuple, fédéralisme etc. Il serait très souhaitable aussi que les
Canadiens anglais s'ouvrent à cette vision des choses.
Il faut recourir
d'abord à l'étymologie des mots; distinguer le sens sociologique ou politique
des termes, comme aussi leur sens en anglais et en français.
Les définitions
proposées ici ne cadrent pas avec la rectitude politique. Car une grande partie
du problème provient du flou entretenu plus ou moins volontairement autour de
ces concepts par les fédéralistes et par les médias.
Comme dans tout
discussion, il faut s'entendre d'abord sur le sens des mots. Et comme Québécois, il ne faut pas craindre
de donner à certains mots la charge affective qu'ils portent.
Même si nous
devons adhérer au "français universel" (et j'en suis), les usages
qu'on fait de certains de ces termes en Europe ne sont pas toujours adaptés à
nos réalités. Raison de plus pour nous entendre sur le sens que nous donnons à
ces réalités.
Le sens donné à
chaque mot l'est donc dans une perspective québécoise. Nos "partenaires
canadiens" nous reconnaissent maintenant un certaine existence collective,
mais celle-ci n'est que symbolique pour eux.
Nous devons nous nommer nous-mêmes, mettre de l'avant notre propre
vision des choses, notre manière de nommer la réalité, même si cela leur
apparait du "wishfull thinking"... C'est ce que font les Amérindiens
qui ont joué habilement, depuis 30 ans, sur les sens français et anglais du mot
nation!
LE MOT QUI FAIT PEUR : LA NATION
Commençons par
définir le mot " NATION ". Il vient du latin NATIO, substantif du
verbe "nascor", naître. Il désigne tout groupe de gens qui sont liés
par leur naissance, qui vivent sur un même territoire, qui ont appris le même
langage, qui ont hérité de la même culture, qui ont vécu la même histoire et
qui souvent professent la même religion. C'est un groupe formé spontanément, de
nature communautaire; un groupe qui, en devenant plus nombreux, va aspirer à la
plus grande liberté politique possible pour s'épanouir.
Le problème avec
ce mot, c'est que depuis deux siècles, plusieurs pays ont adopté le concept
d'état-nation, et que sous l'influence des Anglo-Américains, on l'a employé
pour désigner les entités juridiques que sont les "états
indépendants", par ex. quand on a créé la Société des Nations en 1918 et
plus récemment l'Organisation des Nations-Unies. On aurait dû parler alors de
"pays-unis” ou d'états souverains. En même temps,les grands pays comnme la
France, l'Allemagne, l'Angleterre et surtout les États-Unis, ont tenté de faire
disparaître l'idée qu'un même pays puisse comprendre plus d'une nation.
À l'origine, le
mot nation s'appliquait à n'importe groupe humain différent de ses voisins :
c'est le cas dans la Bible, par exemple. Et c'est ainsi que les explorateurs
français des 17e et 18e s. ont appelé "nations" les nombreux groupes
autochtones qu'ils rencontraient en Amérique. On a cité avec raison l'emploi
que Champlain a fait du mot quand il a rencontré 60 Amérindiens différents des autres sur l'Outaouais et
qu'il les a appelés la “Petite Nation.”
Et quand René Lévesque a reconnu les onze "nations"
amérindiennes du Québec, en 1984, ii le faisait logiquement, en parfaite
continuité avec le sens français du terme. Même si ces groupes ne comptaient
que 500 à 10 000 membres.
Au Canada, le
problème vient de ce que les Anglo-Canadiens ne sont pas capables (ou ne
veulent pas) s'imaginer qu'il y a plusieurs “nations” dans cet immense
territoire qu'est le Canada. Jusqu'en 1982, il y avait au moins une certaine
élite parmi eux qui acceptait l'idée des “deux peuples fondateurs” mais P.-E.
Trudeau a réussi à effacer complètement cette idée. Pour ceux qui parlent anglais, il n'y a
maintenant qu'une seule nation et tous les autres ne sont que des groupes
ethniques qui doivent s'intégrer à eux. Amérindiens, Québécois et Acadiens,
tous doivent apprendre l'anglais et disparaître comme groupes.
Malheureusement,
certains Québécois sont tombés dans le panneau : ils sont prêts à renoncer au
mot nation pour nous désigner. Mais si nous y renonçons, quel terme
emploierons-nous désormais ? Le mot
"tribu"? Nous donnerions raison à Trudeau et à ses amis!
Ne craignons pas
de l'affirmer haut et fort : les Québécois de souche forment une NATION bien
caractérisée, au plan sociologique et au sens français. Les Communes ont
vaguement reconnu cette réalité évidente en 2006, mais en prenant bien soin de
préciser que ça ne voulait rien dire, que cela ne justifiait aucun droit
additionnel au Québec comme gouvernement 'national”. Précisons de notre côté
que nous formons une vraie nation et que celle-ci est ouverte, non-exclusive et
civique. Nous avons intégré et intégrons encore volontiers les immigrants qui
arrivent et veulent se joindre à nous.
C'est avec raison
que nous avons notre Assemblée nationale, notre Fête nationale, notre drapeau
national, nos Archives nationales, notre Bibliothèque nationale, notre Capitale
nationale à Québec, et notre langue nationale ou commune ! Pour cela aussi que
nous voulons enseigner dans nos écoles notre histoire “nationale” avant celte
des autres. Et que beaucoup de nos associations portent le qualificatif de
nationale.
Du fait que les
Communes ont reconnu qu'il y a plus qu'une nation au Canada, le gouvernement
canadien devrait modifier les désignations qu'il fait de ses ministères et de
ses politiques: ministères de la santé nationale ou de la défense nationale,
normes nationales, hymne national etc. Ce n'est pas du bon français.
Logiquement, on devrait dire ministère fédéral de la santé, ministère canadien
de la défense, normes fédérales ou canadìennes.
Comme tout groupe
national, les Québécois pratiquent un certain nationalisme. Cela est normal et sain, surtout quand on vit entouré
de voisins nombreux et volontiers dominateurs... Quant au mot nationalité, qu'on emploie encore pour citoyenneté, on devrait l'oublier
puisqu'il porte à confusion. Ou l'utiliser par ex. pour dire que les
francophones hors Québec sont de "nationalité" québécoise (par leur
ascendance) et de citoyenneté canadienne.
UN ÉTAT, UN PEUPLE, C'EST QUOI ?
Parlons d'abord
de l'État. Provenant du latin "status", le mot ÉTAT désigne une
réalité juridique STABLE qui regroupe
des gens (souvent d'origines nationales diverses) pour former, sur un
territoire donné, une "entité politique" durable et reconnue comme
telle par les autres États. Les membres d'un état sont des CITOYENS et ils
forment tous ensemble un PEUPLE .
Dans ce sens le Québec est bel et bien un État. Comme le Canada, qui est un
état fédéral. Ou comme les états
américains ou les landers allemands.
On voit qu'au
Québec, si on veut être clair, on gagnera à dire:
- les 7 000 000 de Québécois de souche et tous ceux qui se sont
intégrés à eux culturellement et affectivement forment la nation québécoise;
- les 70 000 Amérindiens et Inuits forment onze petites nations
qui se veulent distinctes de la nôtre; elles ont été «reconnues" par
le gouvernement québécois en 1984, mais pas encore par le fédéral;
- les 650 000 Anglo-Québécois se voient eux-mêmes, culturellement,
comme un rameau de la nation "canadian" ; juridiquement, au
Québec, ils sont reconnus comme des citoyens à part entière, comme une minorité
historique par la loi 101 et comme une minorité de langue officielle par le
fédéral;
- les 800 000 Néo-Québécois se répartissent en une soixantaine de groupes
ethniques dont les membres sont en voie de s'intégrer soit à la nation
québécoise, soit à la nation canadian; s'ils ne parlent ni français ni anglais,
ils sont des allophones; et s'ils
ont obtenu la citoyenneté, ils ne sont plus des immigrants mais des
citoyens;
- tous ces gens qui vivent au Québec forment le peuple
québécois : c'est pourquoi on leur a reconnu le droit de voter au
référendum. Ce geste posé par le gouvernement québécois (qui a été refusé
ailleurs) prouve que nous sommes devenus une nation civique et une démocratie
véritable.
- si on élargit la perspective, disons que tous ceux qui habitent
le territoire du Canada et qui en sont des citoyens, forment le peuple
canadien.
Sans exagérer, on
peut dire que le Canada compte 53 nations (la nôtre, l'acadienne, la canadienne
anglaise et... les 50 autochtones). Son immense territoire a été développé,
historiquement, par deux peuples majeurs ou fondateurs, qui devraient
être reconnus comme égaux en droit.
La nation
“canadian” ne veut pas reconnaître ces faits.
C'est pour cela qu'elle a imposé au Québec la Constitution de 1982 au
lieu d'accepter les demandes de René Lévesque pour un renouvellement de la
fédération canadienne : la Souverainté-association.
Et si on parlait de
FÉDÉRALISME ?
Venons-en aux
mots fédération et confédération : au Canada, l'enflure verbale a dépassé les
limites du bon sens.
Succédant à
l'Empire britannique, le gouvernement "fédéral" créé en 1867 par
l'autorité impériale de Londres, est un enfant qui a dévoré ses parents, les
provinces. Il n'a de fédéral que le nom; il s'agit bien plus d'une autorité
impériale.
Dans toute
fédération véritable, ce sont les états constituants qui, en concluant
librement un pacte (foedus, foederis), décident quels seront les pouvoirs
dévolus à l'état fédéral qu'ils mettent au monde et combien d'argent il aura
pour opérer. Au Canada, tout fut décidé d'en haut, aussi bien en 1867 qu'en
1931 et en 1982, de sorte que les états fédérés se retrouvent dans une
véritable prison juridique, que Trudeau a pris soin de fermer à double tour
pour mille ans.
Le Canada
n'est donc pas une fédération, encore moins une confédération (aIliance
d'états souverains et qui le demeurent, comme en Suisse). Il est un pays
unitaire qui s'ignore, qui se donne des airs de fédération décentralisée. C'est
le pouvoir central qui décide de haut quels pouvoirs pourront être exercés par
les provinces et de combien d'argent elles vont disposer...
Le Québec,
conquis en 1759 et jamais juridiquement libéré, en est un partenaire obligé. Il
vit sous une constitution qu'il n'a pas acceptée : ce qui veut dire en termes
clairs qu'il est encore une colonie, un pays occupé ! Occupé
psychologiquement et juridiquement, même si aucun de nos leaders ne veut
l'admettre. Au fin fond des choses, c'est cela qui nous permet d'aspirer à la
souveraineté : parce que nous sommes dans une prison subtile mais fort réelle,
nous avons avons le droit de recourir au "droit des peuples à disposer
d'eux-mêmes" reconnu par l'ONU.
Le fédéralisme
est une excellente chose quand on le pratique bien. Mais il ne
peut pas du tout réussir au Canada pour deux bonnes raisons:
1 - au Canada, il n'y a
que deux partenaires nationaux majeurs : l'un des deux est nécessairement plus
fort que l'autre; il conduit toutes les affaires communes en fonction de ses
intérêts et le partenaire le moins fort est toujours défavorisé..,
démocratiquement ! C'est ce qui se produit constamment dans l'ensemble
canadien. Dans les fédérations où il y a
plusieurs partenaires, il y a en toujours un ou deux qui empêchent le plus gros
d'écraser les petits;
2 - au Canada, au
surplus, un des deux partenaires ne reconnait pas encore, juridiquement,
l'existence de l'autre collectivité : depuis 1867 et surtout depuis Trudeau, le Canada anglais s'esquinte
à nier l'existence de l'autre
partenaire. En prétendant qu'il y a dix provinces et des territoires... Il nie celle qui était là avant lui et qui a
commencé à bâtir l'ensemble canadien :
la nation québécoise... Comment conclure ou renouveler un “pacte"
quand on se croit seul?
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